GERMAINE POINSO-CHAPUIS : UNE FEMME D’ÉTAT DANS L’HISTOIRE
Par Marc Fouquet
Germaine Poinso-Chapuis m’était connue
En 1983, en quittant mes fonctions de Directeur Général des services du Centre Inter-régional Provence Alpes Côte-d’Azur et Corse pour l’enfance et l’adolescence inadaptées, je m’étais promis qu’un jour je rendrais hommage à une grande Dame de la République, qui fut ma présidente : Germaine Poinso-Chapuis.
Durant cette période – et au-delà des multiples réunions, rencontres, entretiens, colloques, commissions durant lesquels nous fûmes côte à côte – nous échangeâmes souvent sur la vie politique du pays, la place de l’homme dans la société, le rôle des femmes et les progrès indispensables à venir en ce domaine, les actions au service des personnes handicapées et inadaptées.
Nos références politiques n’étaient pas les mêmes mais, je le sais, elle était friande de nos échanges à bâtons rompus. Elle, personnalité politique éminente de la IVème République ; moi, jeune militant gaulliste, passionné par le droit de l’action sociale, qu’à ma bien modeste place, j’essayais de faire évoluer.
Les thèmes que nous abordâmes, alors, furent si nombreux que la narration d’un seul serait bien loin de présenter l’infini des facettes de cette femme d’esprit, d’éloquence, de conviction, de détermination, d’intelligence.
Je le dis avec admiration : cette femme d’État incarnait la Résistance à l’envahisseur, le Féminisme, l’Action sociale, L’Éducation. Sur le terrain, je l’ai vu à l’œuvre : rien ne lui résistait. Avec un art consommé de la rhétorique – elle n’était pas avocate pour rien ! -, elle maniait le compromis, pour aboutir à ses fins. J’ai vu des personnalités politiques, de grands syndicalistes également, opposés à elle par opinion, venir, in fine, à ses volontés, par nécessité.
Elle doutait aussi. Lors de la conduite de certaines actions qui s’avéraient déterminantes, elle appréciait les échanges dans lesquels elle testait ses idées et la limite des politiques qui les soutiendraient.
Les plus jeunes d’entre-nous doivent se souvenir qu’elle fut la première femme ministre, disposant d’un portefeuille de plein exercice. Nommée ministre de la Santé publique et de la population dans le Gouvernement Schumann en 1947, il fallut attendre 1974 pour que Simone Veil devienne ministre de la Santé. Les deux femmes d’ailleurs se connaissaient et se respectaient – j’en suis témoin – tant il est vrai qu’elles contribuèrent l’une et l’autre, à des époques différentes, à conduire les femmes vers l’Égalité.
Adversaire politique de Gaston Defferre, elle n’en n’avait pas moins géré son cabinet d’avocat, alors qu’il était poursuivi par la gestapo. Elle faisait partie de cette génération de grands politiques dont les amitiés dépassaient les frontières nécessairement étroites des formations. J’avais vu faire Jacques Chaban-Delmas et je puis le dire : Germaine Poinso-Chapuis était de la même trempe.
« Je puis vous assurer, Madame, vous qui avez entrepris votre chemin d’éternité depuis quarante ans, que votre nom demeurera à tout jamais attaché à de grandes œuvres humaines et au progrès social. »
Une Femme d’État progressiste dans son siècle.
Naissance de Germaine Marie Joséphine Chapuis à Marseille le 6 mars 1901 dans une famille de négociants catholiques ardéchois.
Licenciée en droit et docteur en droit romain.
Elle devient la première femme lauréate de la conférence du stage.
Avocate au barreau de Marseille en 1921.
Co-fondatrice, en 1929, du club Soroptimist de Marseille, « dont le but est la valorisation professionnelle et intellectuelle, morale et sociale de la Femme ».
Mariage avec Maître Henri Poinso en 1937.
Féministe, elle adhère au Parti démocrate populaire.
Engagement dans la Résistance au sein du Mouvement de libération nationale (MLN).
Membre du comité départemental de Libération, elle devient vice-présidente et déléguée de quatre commissions de la délégation municipale marseillaise provisoire.
Conseillère municipale de Marseille de 1945 à 1959.
Présidente de 1946 à 1979, de l’Association régionale de sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence.
Élue députée MRP de la première circonscription des Bouches-du-Rhône en 1945 jusqu’en 1955, elle compte parmi les premières femmes législatrices de l’histoire française.
Ministre de la Santé publique et de la Population dans le premier gouvernement de Robert Schuman du 24 novembre 1947 au 26 juillet 1948. Pour la première fois en France une femme est nommée ministre de plein exercice, de surcroit dans la période de reconstruction.
Comme ministre, elle dépose dix projets de lois et fait voter celles sur la santé publique et la protection de l’enfance. Elle s’attaque aux ravages de l’alcoolisme, à la défense des constructions d’hôpitaux, des handicapés, de l’adolescence et de l’enfance inadaptées. Le décret Poinso-Chapuis du 22 mai 1948 subventionne des associations pour l’éducation des familles n’ayant pas les moyens d’assurer financièrement cette obligation et en particulier les associations tenant des écoles confessionnelles pour mineurs du Nord et du Pas-de-Calais mais aussi des écoles nationalisées à la Libération.
Reprend son activité parlementaire et s’illustre par les vingt-huit textes qu’elle initie.
Vice-présidente de la Chambre des Députés, élue le 11 janvier 1949 et réélue le 10 janvier 1950. Avec soixante-quatorze propositions de lois et l’ensemble des rapports parlementaires qu’elle signe elle engage les réformes de la Santé, du Social, et des droits associés.
Secrétaire de la Commission des Affaires économiques et membre de la Commission de la famille, de la population et de la santé publique.
Devient membre de l’Organisation des femmes des professions libérales et commerciales, de l’Organisation des femmes juristes et du Haut Comité d’information sur l’alcoolisme.
Elle inspire l’arrêté du ministre de la Santé du 22 janvier 1964, instituant dans chaque région de France, un Centre Régional pour l’Enfance et l’Adolescence Inadaptées (CREAI). Bien avant la loi de décentralisation créant les Régions, elle devient la première présidente du Centre inter-régional Provence, Alpes, Côte-d’Azur et Corse pour l’enfance et l’adolescence inadaptées. Son conseil d’administration est composé d’élus représentatifs des grandes associations et structures du secteur ; y siégeaient en qualité de commissaires du gouvernement, le directeur régional des affaires sanitaires et sociales (DRASS) et le délégué régional de l’éducation surveillée (DRES). Chargé de missions de service public, cet organisme assurait les études et recherches dans le secteur médico-social ; gérait une Equipe technique régionale (rendant son avis sur toute création ou transformation d’établissement ou service du secteur), un Institut de formation du travail social, 27 établissements et services (dont deux hôpitaux) et regroupait plus de 1000 salariés (médecins psychiatres, psychologues, éducateurs spécialisés etc.).
Fondatrice et présidente en 1973 du Centre technique national de l’enfance et de l’adolescence inadaptées, structure nationale du secteur.
Le 20 février 1981 à Marseille décède Germaine Poinso-Chapuis.
Je vous recommande la lecture de l’excellent livre publié aux éditions Édisud, préfacé par René Rémond de l’Académie Française : Germaine Poinso-Chapuis, Femme d’État (1901 – 1981).