Les petits papiers de Marie-Lou, de Corinne Javelaud aux Éditions Calmann Levy, collection Territoires.
Nous poursuivons nos COUPS DE CŒUR avec ce beau roman signé Corinne Javelaud.
Après des études de lettres et d’histoire de l’art, Corinne Javelaud s’est tournée vers l’écriture. Originaire du Limousin, elle est l’auteure d’une dizaine de romans qui ont connu un succès croissant. Elle est membre du jury du prix des romancières remis chaque année au Forum du livre de Saint-Louis en Alsace.
Les livres de Corinne Javelaud : Venise aux deux visages (2008). L’appel des rizières (2009). La perle de Naples (2011). La Demoiselle du mas de Roule (2014). La Dame de la villa Saphir (2015). L’Oubliée de la ferme des brumes (2016). L’Insoumise de Carennac (2017). Les Amants maudits de Venise (2018). Un Été d’orage (2018). Les sœurs de Biscarosse (2019). L’Ombre de Rose-May (2020). Les petits papiers de Marie-Lou (2021).
Extrait de la page 17 : dans ce si beau quartier des Chartrons
« L’air devint humide, le temps tourna à la pluie, amenant un peu d’obscurité. À peine eut-elle glissé ses lunettes de soleil dans son sac que l’averse se mit à tomber dru, martelant sa tête nue. Elle courut jusqu’à l’église Saint-Louis et bifurqua dans l’impasse du Couvent, presser de s’abriter. Les grappes odorantes de glycine rose pâle alternant avec les lianes à feuilles persistantes entortillées telles des pieuvres végétales semblaient apprécier un peu de fraîcheur sur l’élégante façade de la demeure familiale. Son souffle enfin récupéré, Marie-Lou grimpa la volée de marches d’escalier récemment encaustiqué qui donnait accès sur deux étages à deux appartements de même configuration, et à peu de chose près de même surface. Sur le palier du second, on pénétrait dans le domaine de sa mère par une véranda des années trente, à l’origine un peu sombre, que Luce Beltran avait fait vitrer avec des fenêtres standards aux carreaux multicolores afin que sa ribambelle de plantes s’épanouisse dans son quartier privilégié. Les effluves odorants de fleur d’oranger qui s’échappaient du buis de Chine montèrent aux narines de la jeune femme tandis qu’elle se tenait dans l’embrasure de la porte. À l’intérieur, caoutchoucs et ficus au feuillage brillant se côtoyaient sur la tomette hexagonale, le long des vitraux, un léger courant d’air balançant le philodendron en suspension.
— Ferme la porte derrière toi ! hurla Luce du fond de sa serre, postée auprès de l’étagère remplie de ses objets hétéroclites de jardinerie.
Marie-Lou n’avait pas remarqué la présence de sa mère, pourtant vêtue de son tailleur vieux rose qui contractait avec le vert prédominant (…) »
Ce qu’en dit l’éditeur en quatrième de couverture.
Dans les années 70, Marie-Lou Beltran, serveuse à L’Auberge du bonheur, vit avec sa fille, Dora, et sa mère, Luce, dans la maison familiale du quartier des Chartrons à Bordeaux. La main verte de Luce et les talents culinaires de Marie-Lou font merveille pour créer un cocon harmonieux.
Un trouble naît lorsque pour son anniversaire, Marie-Lou offre à Dora une magnifique poupée, dénichée chez un antiquaire. Les femmes Beltran constatent bientôt que la poupée suscite des phénomènes étranges.
Un médium prétend qu’elle est habitée par l’esprit d’un proche assassiné. Comment ne pas penser au père de Marie-Lou, Josué, et à son oncle, Féréol, morts en héros sur leurs arpents de vigne à Saint-Émilion, alors sous la botte allemande ?
Prise dans un engrenage de manifestations surnaturelles, butant sur le silence de Luce, Marie-Lou va devoir affronter les démons d’une histoire familiale tourmentée…
Entre les ombres de la mémoire et la volupté des grands crus du bordelais, Corinne Javelaud noue un intrigant suspense autour d’une jeune femme moderne et émancipée, qui devra faire la part entre son goût pour la liberté et les exigences de la vie.
S’il est un quartier de Bordeaux que je connais bien c’est : Les Chartrons.
Le tour de force de Corinne Javelaud est d’avoir su écrire un très beau roman en respectant l’ambiance, les couleurs, les modes de vie et les intérieurs des maisons des Chartrons des années soixante-dix.
L’autre grande qualité de ce roman, autour d’un vrai suspense, est d’avoir rendu à la mémoire collective ce quartier qui transpirait les Grands crus et le négoce.
Après avoir refermé le livre sur ses dernières lignes, j’avais revécu toutes ces voies si riches d’Histoire et d’histoires : rue Notre Dame, rue du Couvent, rue Raze, Place du marché des Chartrons, cours Xavier Arnozan…
Et puis, pourquoi ne pas le dire, ce roman – bien que ne traitant pas de cette période – me ramena dans les années soixante avec des quais grouillant d’une population bigarrée de retour des Îles ; des cargos de la Compagnie des Chargeurs réunis et ceux de la Compagnie générale transatlantique ; des grues – chargeant et déchargeant les bateaux – en partie masquées par les hangars ; des dockers ; la capitainerie et les pilotes de la gironde; les boubous des femmes africaines débarquant avec des perroquets gris et rouge juchés sur leurs épaules ; une activité portuaire débordante…
Un livre à lire sans retenue…en vous laissant aller tout simplement.
Marc Fouquet
25/10/2021