Pour présenter mon roman historique Le Crépuscule des papillons (Éditions Maïa), je publie en quatre parties un chapitre intitulé : les années sombres. Voici la première partie.
Consacré à Suzanne Thomazon, ce texte met en scène l’héroïne, enfermée pendant douze longues années dans la Tour de Constance d’Aigues-Mortes au milieu du XVIII° siècle.
Ce lieu d’enfermement des femmes, arrêtées par les Dragon du roi Louis XV, servait à punir celles des huguenotes qui luttaient pour la liberté de conscience et la liberté de culte.
La plus célèbre d’entre-elles fut Marie Durand.
Marc Fouquet
Novembre 2021.
Première partie.
À l’aube naissante, je prends un caillou crayeux de lœss ramassé dans la cour de la Tour qui en regorge. Je fais une toute petite croix sur le mur, le long duquel est posée ma paillasse. Chaque mois, je réunis ces croix par un trait horizontal, auquel j’affecte un numéro d’ordre. Toutes celles dont les paillasses touchent la muraille circulaire, font de même : « pour être conscientes du temps qui passe », comme nous le recommande souvent Marie Durand, avec son tempérament de résistante !
C’est à l’aide des signes et chiffres de ce repérage calendaire que j’ai enseigné à mon petit Jean-François – qui n’a connu que les espaces confinés de notre emprisonnement – les quatre opérations.
Aujourd’hui, je viens d’inscrire le numéro quatre-vingt-quatre sur le mur. Sept ans ! Sept ans que je suis enfermée ici, parce que j’eus le malheur de naître huguenote et de vouloir vivre en tant que telle. Le découragement me gagne fréquemment. Mais à chaque fois qu’il m’envahit de son lourd manteau d’amertume, par je ne sais qu’elle pulsion vitale, je rebondis. Je m’accroche à cette idée – peut-être fausse, au regard de notre long isolement, mais tellement puissante – de liberté à recouvrer. Profondément ancrée en moi, je crois avoir une force de caractère, qu’assurément je tiens de mon père. Elle me raffermit dans ma rébellion opiniâtre, de tout instant, à nos garde-chiourmes. Rares sont ceux qui nous considèrent comme des personnes à part entière.
Dans ce microcosme féminin de promiscuité, de noirceur et de privation de nourriture, plusieurs exercent contre nous des sévices quotidiens.
Dans les jours suivants leur incarcération, les jeunes femmes, généralement arrêtées dans une assemblée du Désert, fussent-elles à peine pubères, sont entrainées dans les bas-fonds du bâtiment carcéral pour y être violées. Rien ne résiste à la cruauté et à la perversité de ces gardiens, surtout pas la virginité de filles juvéniles ; d’ailleurs considérée, par eux, comme une aubaine.
Nos géôliers se prélassent dans la fange de leurs âmes corrompues !
Alors que je nourrissais tant bien que mal mon petit Jean-François, ai-je été contrainte d’avoir des relations sexuelles avec un salaud de gardien. Ayant manifestement pris son plaisir avec mon corps, l’homme a perpétré durant plusieurs jours son acte ignoble. Son attitude de prédateur, tel l’ogre se servant de viande fraîche dans son garde-manger d’êtres vivants, me fit vomir de dégoût.
Les actes liés à notre incarcération peuvent être d’un grand raffinement.